La gamification, ou l’art d’introduire des processus empruntés aux jeux vidéos, peut améliorer grandement l’engagement de vos utilisateurs. Pourquoi, comment ? Explorons le concept !
Introduction
En 2020, l’industrie du jeu vidéo pèse 125 milliards de dollars, c’est à dire le PIB d’un pays grand comme l’Ukraine. Autant se l’avouer : nous jouons tous, ou avons tous joué, aux jeux vidéos. L’âge moyen d’un joueur est de 35 ans, et un joueur sur deux est une joueuse. Si ce secteur fonctionne aussi bien, c’est qu’il a trouvé les clés du paradis de n’importe quel produit : comment faire venir l’utilisateur, le garder, et surtout, le faire revenir régulièrement. Alors pourquoi ne pas s’inspirer des concepts des jeux vidéos, qui ont fait leurs preuves, pour les produits du quotidien ? C’est ça la gamification (ou ludification pour les plus francophones). Pourquoi ne pourrait-on pas rendre fun, agréable et excitant n’importe quel produit, même ceux liés au travail ? En clair, why so serious ? S’amuser ne veut pas dire ne pas être productif, c’est même tout l’inverse quand c’est bien fait.
Principes de base
# 1 Progression
La progression peut prendre deux sens : l’apprentissage, et l’amélioration. Dans le premier cas, le but sera d’accompagner l’utilisateur vers des tâches de plus en plus compliquées, ou de cacher une partie des possibilités temps que certains prérequis ne sont pas maitrisés. L’utilisateur sera donc mis en confiance quant à ses capacités et sa maîtrise de l’outil. Dans le second cas, on va pouvoir amener l’utilisateur à réaliser des actions spécifiques (remplir son profil, ajouter une photo, …), en lui montrant le progrès à accomplir pour atteindre un certain statut (utilisateur vérifié, utilisateur premium, ou autre). Regardez plutôt le badge sur un profil LinkedIn, qui vous montre votre « niveau » en fonction de la complétion de votre profil.
Notez que le plus haut niveau, « all-star », n’est pourtant pas plein… Car personne n’est parfait n’est-ce pas ? C’est une boucle ludique, nous y reviendrons plus tard.
# 2 Feedback
Toute action appelle une réaction. On parle de retour visuel, audio, ou autre si votre système le permet (retour haptique avec une vibration sur téléphone par exemple). L’un des piliers de la gamification passe par les micro-interactions, mais pour rentrer dans le détail je vous renvoie vers l’un des épisodes précédents du Bureau des UX sur le sujet. Et dans le but de gamifier votre plateforme, vos micro-interactions se doivent d’être fun, colorées, ludiques en somme !
# 3 Être sensationnel
Ce qui nous plait dans un jeu, c’est le sentiment d’être plus grand que soi, d’être important. Vous êtes la seule personne qui peut sauver le monde ? Ça, ça motive. De la même manière, faire sentir à l’utilisateur qu’on a besoin de lui, que quelqu’un ou quelque chose dépend de son action, va pousser vos utilisateurs à se dépasser, et via ce sentiment d’appartenance, renforcer leur engagement. Sans forcément être le dernier espoir de l’humanité, on peut aussi emmener l’utilisateur vers une communauté, afin de créer du lien. Ce sont deux points de vue qui dépendent évidemment de votre produit, mais qui rejoignent la même idée fondamentale : être ou faire part de quelque chose de plus grand est motivant. Et motivation rime avec interaction (avec votre produit!).
# 4 Récompense
Tout le monde aime les récompenses. Et c’est même un principe physique, qui altère la chimie du cerveau. Pour le détail biologique, je vous invite à faire des recherches sur le circuit de la récompense. Mais côté UX, à quoi ça ressemble ? Le plus simple, c’est de féliciter votre utilisateur (via une pop-up, une animation…). En lui montrant que telle action est gratifiante, il aura tendance à la refaire. L’inverse est aussi vrai. Sans être punitif, il y a des moyens de montrer qu’une autre action n’est pas bénéfique pour l’utilisateur et sans jamais l’empêcher d’avancer, lui faire perdre tout intérêt pour cette action. Un autre grand principe des jeux vidéos, les badges : ce sont des médailles numériques représentées par une image qui représente un haut-fait que l’utilisateur a réalisé, qu’il pourra consulter et partager aux autres.
Une autre forme de récompense peut aussi prendre la forme de crédits. Une sorte de monnaie virtuelle, propre à votre plateforme, qui pourra soit débloquer des options de personnalisation, soit des réductions, ou encore des fonctionnalités payantes. À vous de juger si la fidélité est récompensée dans le monde réel (conversion des crédits en valeur monétaire réelle) ou dans le monde fermé de votre produit. Les deux sont possibles et motivants, et peuvent cohabiter.
# 5 Compétition
Restons dans le thème des badges quelques instants : si à chaque badge vous associez le nombre de personnes qui l’ont obtenu, la récompense sera d’autant plus grande qu’elle est rare. Car si peu de personnes l’ont obtenu, cela signifie qu’il faut être exceptionnel pour l’obtenir non ? De même, tenir un tableau des scores permet de motiver les personnes les plus compétitrices à se dépasser, pour atteindre la meilleure place au classement.
Études de cas
La plupart des captures d’écrans de cet article sont issus de produits qui existent sur le marché : LinkedIn, FitBit, Waze… Et la liste est longue ! En effet, de nombreuses applications de la vie courante ont implémentés une ou plusieurs idées que nous venons de voir, pour leur simplicité et leur efficacité extrême. Mais certains vont encore plus loin, et nous allons voir un premier exemple très connu et un second plus…original.
# 1 Uber
Uber est quasiment un cas d’école de la gamification. Comment faire pour qu’un conducteur soit disponible le plus rapidement, alors qu’Uber n’a pas le pouvoir de forcer les gens à conduire ? En utilisant des badges tout d’abord, nous en parlions juste avant. Uber utilise aussi une boucle ludique : alors qu’un·e conducteur·rice s’apprête à quitter l’application, celle-ci lui fait remarquer qu’il ou elle n’est qu’à quelques euros d’atteindre un nouvel objectif. Le but d’une boucle ludique est de mettre un objectif juste hors de portée du joueur / de l’utilisateur, pour l’attirer à continuer un peu plus. Et quand l’objectif est atteint, il suffit d’en ajouter un autre un peu plus loin. Diaboliquement efficace et addictif ! D’autres méthodes issues de la gamification sont aussi utilisées par Uber (presques toutes celles présentées ici en fait), mais à chaque jour suffit sa peine. Sachez néanmoins que la gamification de l’app a été tellement efficace qu’Uber a été obligé de développer un bouton pause, pour que les conducteurs et conductrices se reposent !
# 2 Habitica
Et si toute votre vie n’était qu’un jeu ? À la fois to-do list et motivateur, cette petite app reprend tous les codes du jeu vidéo pour les appliquer à votre vie quotidienne. Se lever à l’heure ? Faire du sport une fois par semaine ? Quoi que ce soit, on peut le noter. En fonction de l’importance (subjective) associée, l’app va calculer un score gain / risque. Parce que oui, remplir vos tâches vous fera progresser. Mais si vous ratez une occurrence, vous perdez de la vie ! Il vaut mieux être constant dans ses habitudes. Pour commencer, c’est par là.
Pour aller plus loin
La gamification, on en parle depuis déjà pas mal de temps, et donc de nombreux·ses Game Designers se sont penché·e·s sur la question pour théoriser le tout. Pour celles et ceux qui ont envie d’en savoir plus sur ce qu’est une boucle ludique et bien d’autres sujets, je vous conseille A theory of fun for Game Design de Raph Koster, un ouvrage de référence dans le monde du game design. Ou encore l’excellente conférence TEDTalk de Jane McGonigal qui pense que nous ne jouons pas assez, et que je vous laisse découvrir :