29 novembre 2018 Emilie Sébert

Réalité virtuelle : y’a t-il une limite entre le virtuel et le réel?

Naomi Roth, ex-journaliste, spécialiste de réalité virtuelle consacre son énergie et son expertise pour répondre à cette question. Avec Virtuality for Reality, une communauté internationale qu’elle a fondé, elle étudie depuis plusieurs années maintenant l’impact et les possibilités qu’offre la Réalité Virtuelle.
A l’occasion de l’Université des Entrepreneurs organisée le 8 novembre dernier à la Kedge School, l’experte en réalité virtuelle donnait une conférence sur la limite entre le virtuel et le réel. ARCA Computing a eu l’opportunité d’y assister. Portrait.

Si vous avez une question concernant la réalité virtuelle, il faut s’adresser à Naomi Roth. Cet ex-journaliste, née et élevée à La Réunion, est tombée dans la marmite des nouvelles technologies en travaillant pour une association basée à Paris. Elle y a découvert des centaines d’initiatives de citoyens, apportant des solutions concrètes à des problématiques données, notamment grâce à des applications. C’est donc tout naturellement qu’elle a emprunter cette nouvelle voie. Un intérêt pour un domaine dans lequel elle est devenue une pointure. Intérêt qu’elle explique en ces termes :

« Je m’intéresse particulièrement à la façon dont les technologies modifient certaines réalités comme nos interactions, façons de penser ou d’agir. »

Une passion pour une technologie à fort potentiel

Naomi Roth était journaliste lorsqu’elle a découvert la réalité virtuelle, et cette première confrontation fut un vrai choc lorsqu’elle testa pour la première fois l’application de ARTE 360. Il s’agissait alors d’une expédition au-dessus de l’Arctique, faisant naître en elle « un appel aux tripes » comme elle dit. La réalité virtuelle lui a ouvert le champ des possibles et fait prendre conscience qu’elle pouvait elle aussi participer à une aventure en lui montrant ce qu’il se passait à des milliers de kilomètres, de manière vivace, crue, merveilleuse et ce grâce à un point d’ancrage : le casque. Un casque, un grand pas pour elle dans une « autre réalité », qui, paradoxalement, lui paraissait beaucoup plus vraie que son quotidien parisien. Un voyage virtuel qui sonne comme une prise de conscience : « Ok, il se passe des choses, des choses importantes, on prend le temps de me les montrer, de m’emmener sur le terrain comme si j’étais le bras droit de cette équipe de chercheurs, loin, dans ces terres gelées que je ne verrai probablement jamais autrement de mon vivant, et qui de toute manière sont en train de disparaître…

« Je me suis vraiment dit à ce moment-là qu’on était en train d’inventer l’anthropologie du futur : préserver des instantanés 360 en haute qualité d’espaces, de lieux, de morceaux de vie menacés « .

Naomi Roth est fascinée par le pouvoir de transporter « sa réalité » et d’y insuffler des bouts « d’autres réalités » expérimentées par des cerveaux, des consciences, des cultures et formées par des impératifs autres que ceux qu’elle peut connaître.
Cette fascination s’explique également par sa passion pour les sciences, les nouvelles technologies et le cerveau et sa première expérience avec un casque Samsung Gear. Alors plongée dans une autre réalité, Naomi Roth a été frappée par le fait que son environnement « réel » lui paraissait passionnant, comme si la réalité virtuelle exerçait un pouvoir émerveillant et avait imprégné pendant quelques minutes le réel.

Depuis, l’experte en réalité virtuelle, a travaillé sans relâche pour comprendre le fonctionnement et le potentiel de cette technologie psychoactive. En découvrant plus tard que le cerveau n’a pas évolué pour pouvoir faire la distinction entre une bonne expérience de réalité virtuelle et le réel, elle s’est passionnée pour l’impact de cette technologie sur l’humain.

Une volonté d’ouvrir les frontières de La Réalité virtuelle

Aujourd’hui la réalité virtuelle est considérée encore comme gadget et souvent cantonnée à l’univers du divertissement pour le grand public ou de l’industrie du futur. Naomi Roth a conscience que la réalité virtuelle a connu un emballement court-termiste. Le soufflé est retombé auprès du grand public, s’expliquant par un marché saturé sur lequel beaucoup d’entreprises ont proposé des expériences inabouties, souvent perturbantes (au sens physiologique) et basées sur des déclinaisons de roller coasters et de shooter games… Un gaspillage donc de créativité, de temps de cerveau disponible et d’argent dans des prototypes décevants.

Pourtant comme évoqué plus haut, le champs des possible est grand ouvert pour une technologie qui n’est pas si nouvelle que ça. La littérature scientifique et de nombreux uses cases abondent en ce sens : éducation, santé, réhabilitation physique et mentale, traitement des phobies, formation professionnelle, accompagnement dans les hôpitaux, soulagement des douleurs chroniques, autant de champs d’application à d’autres secteurs, pouvant faciliter le quotidien.

Partant de ce constat, Naomi Roth a créé Virtuality for Reality, afin de revaloriser ces secteurs à la hauteur de leur potentiel et de leur impact positif. Cette communauté open internationale regroupe plus de 1600 membres sur Facebook. La spécialiste alimente régulièrement ce groupe en news et recherche mettant en avant ces secteurs, et même en recherche d’emploi.

La réalité virtuelle permet d’ouvrir les frontières. A ce titre, Naomi Roth a pleins d’exemples d’applications possibles…
La VR peut permettre de venir en aide aux étudiants, de préparer au mieux les chirurgiens avant une opération, combattre Alzheimer, de réduire les biais sexistes et racistes via un avatar pour vivre des scénarios vécus par des minorités, tel est le cas dans la Royal Navy en Australie…
On peut aussi aller dans l’espace et expérimenter l’Overview Effect ! A savoir vivre le choc que chaque astronaute vit la première fois lorsqu’il observe notre planète de l’extérieur, se rendant compte par la force de l’expérience que ce petit point bleu perdu flottant dans l’immensité et tout ce que nous avons aujourd’hui, est de facto très fragile. Une couche d’atmosphère ressemblant à une bulle de savon comme seule protection ? Avons-nous envie de faire des trous dedans? La réalité virtuelle peut ainsi remettre beaucoup de choses en perspective et inciter à devenir un peu plus « écolo-conscients ».

La réalité virtuelle, une réalité alternative? Pour quel impact?

Lors de cette conférence, Naomi Roth a bien insisté sur le fait que la réalité virtuelle n’est pas une réalité alternative au sens que tout ce que nous expérimentons fait partie de notre réalité, entre dans sa composition, et la façonne profondément même. Elle prenait l’exemple des livres dont la lecture ouvre la porte d’une réalité virtuelle, « factice ». Le pouvoir des livres, des écritures et maintenant des fake news est infini. Prenons par exemple, la parution du roman de Goethe « Les souffrances du jeune Werther », en 1774. Il raconte le suicide d’un jeune homme à la suite d’amours déçues. Peu après sa parution, une mode s’empare des jeunes Allemands, qui imitent les façons vestimentaires du couple sujet du roman, Charlotte et Werther. Pendant les mois qui suivent, on assiste à une vague de suicides par arme à feu selon les mêmes modalités que celles utilisées par le héros, qui conduit l’Église à demander l’interdiction du livre en Europe, et les autorités allemandes à Leipzig, danoises à Copenhague et italiennes, à réaliser cette interdiction. Doit-on par conséquent, interdire toutes sources de réalités virtuelles? Que faire de cette réalité virtuelle qui nous façonne d’expériences riches et novatrices?
Au lieu de diaboliser la technologie en elle-même, Naomi Roth souhaite qu’on s’intéresse de plus près à son impact sur l’humain. On sait aujourd’hui que la VR a le pouvoir d’agir à un niveau identitaire sur l’individu. En effet nous sommes à la première personne dans ces expériences, souvent, ou encore acteurs interagissant (avec des controlers).

Naomi Roth résume d’ailleurs son influence sur l’individu par cette phrase : « Je fais donc je suis ».

Ce n’est donc pas la technologie en elle-même qui peut être nocive, mais bien son impact sur un individu et le niveau d’addiction que celui-ci peut développer qu’il faut étudier.

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