18 avril 2019 Emilie Sébert

Transformation digitale : les entreprises françaises à la peine

La transformation digitale est perçue comme une opportunité de croissance pour la majorité des entreprises françaises. Pourtant 87% de ces entreprises auraient des difficultés pour la mener à bien. C’est ce que révèle les baromètres de SmartLane et Ipsos . Manque d’ambition et de compétences, approche en silo sont autant d’obstacles à surmonter pour réussir cette transformation digitale. Décryptage.

En 2015, le cabinet Gartner définissait la transformation digitale ainsi : « l’utilisation de technologies digitales pour changer un business model et amener des revenus nouveaux et de nouvelles opportunités porteuses de valeur. »
En 2017, BPI France Inno Génération dressait un bilan mitigé sur cette transformation digitale, montrant qu’elle était encore incomprise par les entreprises françaises.
Depuis, nombre d’entreprises ont compris l’importance d’une telle transformation et l’ont inscrite à leur agenda sans pour autant passer à l’acte.

SmartLane, réseau d’opérationnels spécialisé en transformation des entreprises a interrogé plus de 550 acteurs, directeurs généraux, RH, commerciaux, directeurs marketing ou IT, issus de TPE, PME ou grandes entreprises, pour dresser ce constat. Ce baromètre tient compte de la taille de l’entreprise ainsi que le secteur considéré et s’appuie sur 9 dimensions d’analyse :
– compréhension des enjeux
– alignement des compétences
– maîtrise des méthodes
– usages digitaux internes
– orientation client
– innovation produits
– data driven
– alignement du système d’information
– veille technologique

Le Hub de la transformation digitale ACSEL s’est également interrogé sur la place du numérique dans la croissance des entreprises, avec son troisième baromètre « Croissance & Digital ». Réalisée par Ipsos, l’étude a été conduite, sur la base d’interviews téléphoniques, auprès de 600 entreprises françaises. Il en ressort que le numérique est un facteur de croissance pour les PME et les ETI.

#1 Toutes les entreprises sont concernées

Alors que la part du numérique dans le PIB français représente 6 %, personne ne remet plus en question la nécessité d’adapter l’entreprise à un monde digital. A ce titre, toutes les entreprises, toutes tailles et tous secteurs confondus, affirment à plus de 90%, avoir inscrit la transformation digitale à leur agenda.

Si on voit des différences de sensibilité (les secteurs à forte intensité concurrentielle ou secteurs en prise avec le consommateur final plus mûrs), toutes les entreprises, les grandes comme les plus petites ont la transformation digitale à leur agenda :
– Entreprises entre 100 et 500 personnes : 59% ont lancé un programme de transformation ; 37% envisagent de le lancer sous 12 mois
– Entreprises de moins de 100 personnes : 61% ont lancé un programme de transformation ; 34% envisagent de le lancer sous 12 mois

Les directions générales se sont saisies du sujet, puisqu’il s’agit (un peu) d’efficacité opérationnelle, (beaucoup) de renforcer sa position concurrentielle en offrant une expérience client du niveau de meilleurs, voire (également) de saisir l’opportunité de positionner l’entreprise sur de nouveaux marchés :
– 25% des répondants sont des cadres dirigeants
– Améliorer l’expérience client vient en tête des enjeux de transformation cités

Même si 15% des entreprises interrogées ont confié la transformation digitale à leur DSI, elles ont majoritairement compris qu’il s’agit avant tout d’un sujet humain :
– Capacité à mobiliser autour d’une vision, alignement des compétences, formation aux postures et méthodes sont les premières des préoccupations.

Ainsi, tous perçoivent le numérique comme une opportunité favorisant la croissance.

Interrogées par Ipsos, 70 % des entreprises françaises jugent le numérique comme une chance à saisir, tandis que 25 % considèrent son développement à reculons, mais étant sans doute un passage obligé. Uniquement 5 % ont choisi d’ignorer le numérique en ne menant aucune action en ce sens, voir en le considérant comme une menace. Toutefois, 45 % des sociétés sondées déclarent manquer de moyens humains ou de stratégie sur le sujet réellement portée par la direction. Seules 7 % n’ont amorcé aucune stratégie de transformation digitale, contre 48 % qui ont une maturité digitale bien prononcée, avec notamment une stratégie numérique pilotée par la direction avec une équipe ad hoc.

Une large majorité (77 % des entreprises sondées, dont 87% d’ETI) perçoit le digital comme un moteur de croissance. Le baromètre « Croissance & Digital » montre que les entreprises engagées dans leur transformation numérique ont 2,2 fois plus de chance d’être en croissance que celles qui n’ont entamé aucune transformation. Ces profils de sociétés ont instauré un ensemble de bonnes pratiques digitales fondées sur une politique volontariste. Elles ont des stratégies de ventes physiques et web complémentaires et peuvent ainsi développer une forte connaissance client grâce aux outils digitaux.

#2 Une transformation hétérogène selon les fonctions et les secteurs

Les fonctions RH et expérience client sont négligées par cette transformation digitale.

Si la majorité des répondants disent avoir compris les enjeux de leur transformation, et disposer d’une vision claire pour leur entreprise, elles rencontrent des difficultés d’exécution :
– Le baromètre met en évidence des retards significatifs de maturité sur les dimensions culture (collaboration, expérimentation), compétences, usages internes, data et Système d’Information

Certains secteurs (industrie, électronique, transports/logistique, agroalimentaire, BTP) affichent un retard préoccupant, alors qu’ils sont loin d’être épargnés par les mutations en cours (on pense à l’évolution vers le service des entreprises centrées sur le produit) :
– Le baromètre met en évidence des retards significatifs de maturité sur les dimensions compréhension des enjeux, compétences, méthodes, veille technologique

Le sujet n’a pas encore pénétré la totalité de l’entreprise : si certaines directions sont fortement mobilisées (marketing, digital, IT), d’autres au contraire semblent moins concernées :
– Seulement 2% des répondants appartiennent à des fonctions liées à l’expérience client, alors même que c’est l’enjeu le plus souvent cité
– Seulement 6% des répondants appartiennent à des fonctions RH, alors que culture, compétences et organisation sont parmi les difficultés les plus souvent citées

Plus grave, il semble que les différents acteurs de l’entreprise aient du mal à s’aligner sur un même constat de départ (« nos enjeux sont-ils clairs et compris ? où sommes-nous face à ces enjeux ?), sur une même trajectoire (« où faut-il agir ? »), et à piloter ensemble sur la trajectoire retenue. On notera notamment les écarts importants de perception entre direction générale et équipes, entre DSI et métiers ou entre digital et métiers legacy :

L’absence de vision claire et partagée est citée dans les premières difficultés par les équipes, alors que les directions générales la citent en dernier
La difficulté à faire évoluer le SI est cité en n°1 par les métiers, mais en dernier par les DSI
Les organisations en silo sont citées par les équipes digital comme une difficulté majeure, alors que les directions legacy y sont beaucoup moins sensibles

#3 Des obstacles communs à surmonter

Bien que la transformation digitale soit bien avancée dans les grands groupes, elle engendre cependant des difficultés dans toutes les entreprises.
Le baromètre SmartLane constate ainsi des difficultés partagées par tous les types d’entreprises sur les questions d’alignement du système d’information, d’approche data driven et d’innovations produits.

Les ETI (entre 500 et 5000 personnes) sont celles qui marquent le plus le pas tandis que les TPE arrivent à tirer leur épingle du jeu, en se montrant très performantes sur les usages digitaux internes ou l’orientation client.

Les résultats de l’étude menée par Ipsos montrent quant à eux que les freins à cette transformation digitale sont : un manque de temps pour 54 % des entreprises, un problème de coût (49 %) et la complexité de mise en oeuvre (39 %). A noter : 36 % des sociétés sondées pointent un manque de compétences et de formation.

La clé de succès d’une transformation digitale réussie? La culture d’entreprise selon Gilles Babinet, digital champion de la France auprès de la Commission européenne.

Ainsi réussir sa transformation, c’est :

– S’assurer que la vision est claire et comprise par tous,
– S’assurer que chacun dans l’entreprise dispose des compétences et des outils nécessaires pour prendre part à la transformation
– S’assurer que, collectivement, les équipes savent interagir pour atteindre les objectifs fixés
– S’assurer, enfin, que chacun a compris ce que l’entreprise attend de lui dans cette transformation, et vit cette transformation positivement

Beaucoup d’entreprises font aujourd’hui le constat de l’échec de leur programme de transformation digitale. Une des raisons de cet échec tient à la sous-estimation de la dimension culturelle et organisationnelle de toute transformation.

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