23 avril 2020 Emilie Sébert

Social tech: le numérique social et solidaire tournée vers l’humain

Encore balbutiante en France il y a quelques années, la social tech, expression désignant l’usage des technologies au service du bien commun, s’est accélérée. A la croisée de l’économie numérique et de l’ESS (économie sociale et solidaire), la social tech se développe sous la forme d’entrepreneuriat social et permet ainsi de toucher un grand nombre de personne tout en facilitant le partage et l’accès aux informations. Cette période de confinement fait d’ailleurs émerger de nombreuses initiatives et démocratise certains usages de plateformes et d’applications dans ce domaine. L’épidémie du COVID-19 a en effet provoqué une certaine prise de conscience quant à notre manière de vivre et de consommer. Prise de conscience à laquelle la social tech peut apporter des réponses. Décryptage.

La social tech, le numérique au service de l’intérêt général

Depuis maintenant quelques années, la Social tech s’accélère, voyant fleurir nombre de projets numériques sociaux et solidaires. En effet, dans un environnement de plus en plus connecté, l’accès au numérique de manière non exclusive, devient un enjeu majeur. Au-delà, de cet accès qui relève du bien commun selon la loi Numérique, on constate que la transformation numérique ne doit pas se cantonner aux entreprises et à la consommation mais également servir l’ESS.
Le rapprochement entre le digital et l’ESS (économie sociale et solidaire), montre que ces secteurs a priori antinomiques, ont su surmonter leurs différences pour servir le bien commun.

Le développement de la social tech s’explique notamment par l’accélération de la transformation numérique au sein de l’ESS et ce à trois niveaux:

– l’ambition et la finalité
On constate que participer de l’intérêt général ou répondre à des besoins fondamentaux de la société notamment à travers le travail associatif, ne sont plus réservés uniquement à l’ESS. Cette dernière s’est élargie au concept d’entrepreneuriat social, phénomène accentué par le numérique. En effet, de nombreuses start-up appartenant à « l’économie collaborative » ont été créees et ont fait naître des plateformes de service dont l’ambition est de servir l’intérêt général tout assumant leur statut à but lucratif.

– le financement
Le développement du crowdfunding grâce aux plateformes numériques ont ouvert la porte à une nouvelle source de financement, offrant une formidable alternative au système de financement du secteur non lucratif.
Bien que le crowdfunding n’ait pas pour objectif de remplacer les financements publics en vigueur, il permet néanmoins à de plus petits projets de voir le jour en dehors d’un processus de financement public parfois trop long et trop contraignant.

– la capacité d’innovation
Le numérique et par extension la social tech, permet de déployer et de mettre à disposition de nouveaux outils qui peuvent toucher de nouveaux publics. Elle offre à l’ESS l’opportunité de se renouveler et de développer des projets auprès d’un plus large public et ce de manière plus rapide.

Les initiatives Social tech

Petit tour d’horizon de l’écosystème Social tech avec une mention spéciale aux entreprises solidaires en cette période crise.

#1 Coronavirus : des réseaux sociaux entre voisins pour « recréer du lien social »

Encourager la solidarité…
En 2019, selon l’enquête nationale Solitudes, 13 % des Français·es étaient en situation d’isolement social : ils ne voyaient que très rarement, voire jamais, d’autres personnes, quels que soient les « réseaux de sociabilité » (famille, amis, voisins, vie associative et professionnelle). Une proportion qui n’a pu qu’augmenter depuis le confinement décidé par le gouvernement dans le cadre de la lutte contre la pandémie de Covid-19. Confiné·e·s, en dehors des personnes dont le travail nécessite des déplacements, nos seuls liens sont le téléphone, les réseaux sociaux et autres outils de discussion écrite ou vidéo.

C’est en 2008 que l’entrepreneur spécialisé dans les nouvelles technologies a cofondé ma-residence.fr, le premier réseau social français d’échange et d’entraide entre voisins. Devenus en 2018 Ensembl’, l’application et le site ont été imaginés par la startup française Le Résidentiel numérique, basée à Levallois-Perret (92).
Sur un modèle proche de Facebook et voulu facile d’utilisation, chacun·e peut publier des informations et des bons plans sur son quartier, et facilement interagir avec ses voisin·e·s.
Ensembl’ vise ainsi à créer du lien social, en plus d’encourager les échanges et la solidarité entre voisin·e·s : les personnes ayant un besoin (covoiturage, baby-sitting, bricolage, course…) et celles prêtes à donner un coup de main peuvent publier des annonces et/ou y répondre. Depuis le début de la pandémie de coronavirus, un onglet dédié vise à permettre de « rester en contact les un·e·s avec les autres et de trouver de nouvelles solidarités ». Prendre des nouvelles des plus fragiles et/ou isolés, faire des courses pour ceux qui ne le peuvent plus, proposer des services de garde d’enfant ou de soutien scolaire… « Relevez le défi avec Ensembl’ ! », encourage la plateforme.

Avec une double promesse : la gratuité et la sécurité. Le modèle économique reposant sur l’investissement des collectivités, les particuliers n’ont en effet rien à débourser pour interagir sur Ensembl’, vierge de toute publicité. Et la startup garantit la fiabilité des profils inscrits grâce à un système de vérification des adresses mails et postales.

Une nouvelle app pour les voisin.e.s d’immeubles
La recette de la startup, membre de la French Tech et agréée Service Numérique et Citoyen par le ministère en charge de la ville, séduit : plus de 200 000 personnes sont inscrites sur Ensembl’. Près de 200 collectivités l’ont adopté, parmi lesquelles Nantes, Nice ou encore le Havre. Ces dernières disposent de leur page sur le réseau, également utile aux commerces locaux et à plus de 4 000 associations, qui y partagent leurs actualités et peuvent y recruter bénévoles et adhérent·e·s. En mai 2019, une application sœur d’Ensembl’ a été lancée pour les voisins d’immeuble : Ma-residence.

Un dispositif intergénérationnel
Et parce que 80 % des besoins exprimés sur Ensembl’ concernent des personnes âgées, la startup a développé, avec le soutien de la Caisse Nationale d’Assurance Vieillesse (Cnav), un dispositif dédié à leur autonomie et leur maintien à domicile. Baptisé Solidar-it, il s’agit d’un outil professionnel intégré dans Ensembl’ et Ma-residence sollicitant les acteurs de l’action sociale du territoire pour mieux identifier les besoins des personnes âgées et les aider. Collectivités et autres Caisses centrale d’activités sociales peuvent ainsi s’organiser directement avec les volontaires.

Comme Ensembl’, d’autres réseaux sociaux de quartiers encouragent à la solidarité. Parmi ces derniers :
– L’association Voisins Solidaires propose gratuitement, et avec le soutien de ses partenaires, son kit « Coronavirus, et si on s’organisait entre voisins » pour faciliter l’entraide.
– Gratuit pour toutes les villes de France pendant la crise sanitaire, le réseau social Smiile a lancé une nouvelle fonctionnalité : l’échange vidéo entre voisins.

#2 Coronavirus : des imprimantes 3D à l’hôpital Cochin

Ce sont pas moins de 60 imprimantes 3D qui ont été installées à l’hôpital Cochin. L’objectif : produire à la chaîne du matériel médical d’urgence dans le cadre de la lutte contre le Covid-19. Un projet de l’université de Paris en partenariat avec l’AP-HP, financé par le groupe Kering.
Depuis le 31 mars, l’historique salle capitulaire de l’Abbaye de Port-Royal, adossée à l’hôpital Cochin (XIVe arrondissement de Paris), est devenue « la plus importante plateforme d’impression 3D de matériel médical d’Europe », a expliqué le docteur Roman Hossein Khonsari de l’hôpital Necker à Siècle Digital. Visières de protection, valves pour respirateur artificiel, matériel d’intubation… Dans le cadre du projet 3D Covid, initié par l’université de Paris en partenariat avec l’AP-HP, ces imprimantes vont fonctionner 24h/24 durant les quatre prochains mois au moins afin de « produire tous les jours de quelques unités à plusieurs centaines en fonction de leur complexité ».
Le projet a été entièrement financé par le groupe Kering, qui a couvert l’achat des machines auprès du fabricant américain Stratasys, mais aussi les matières premières ainsi que les contrats des cinq ingénieurs de la startup spécialisée Bone 3D qui opèrent les machines. Si le montant total de l’opération n’a pas été précisé, Les Echos rapportent qu’il ne dépasserait pas les 2 millions d’euros.

Produire rapidement et de manière fiable
En parallèle de l’installation des salles de production, une plateforme Internet a été lancée pour que les personnels soignants listent leurs besoins, en complément des informations communiquées directement par l’Agence générale des équipements et produits de santé. Les prototypes établis par l’équipe du docteur Roman Hossein Khonsari et les ingénieurs de Bone 3D sont ensuite soumis à la validation d’un service clinique et d’un service pharmacologique. L’AP-HP a obtenu plusieurs dérogations afin de pouvoir produire les pièces en masse — jusqu’à 3 000 par semaine.
« Un composant comme un dispositif d’aspiration pour un respirateur ne pourrait pas être produit aussi vite ailleurs, car il aurait fallu monter une chaîne de production industrielle. Cela répond aux besoins d’une pénurie », a précisé le docteur Roman Hossein Khonsari au Parisien. L’intérêt des imprimantes 3D est aussi leur fiabilité, a complété Arnaud Toutain, le responsable pour l’Europe des imprimantes à usage médical. « Un point essentiel car sur un connecteur de respirateur par exemple, le moindre problème de qualité peut avoir des conséquences graves pour le patient. » Le seul bémol : les imprimantes ne peuvent fabriquer que des pièces à base de plastique, ce qui exclut la fabrication de masques et de surblouses.

Vers une généralisation des imprimantes 3D dans les hôpitaux ?
Pour le moment occupées à produire du matériel médical destiné à l’Île-de-France, les imprimantes 3D installées à Cochin pourront être mobilisées pour d’autres régions selon la progression de la pandémie. Et une fois celle-ci passée, les machines devraient être réparties par l’AP-HP entre ses quatre groupements hospitaliers. Bone 3D formera alors directement le personnel hospitalier à leur utilisation, rapportent Les Echos. Pour le docteur Roman Hossein Khonsari, « on peut imaginer que l’impression 3D de pièces sur mesures devienne, après la crise, un vrai service dans les hôpitaux, comme le scanner ou l’IRM ».

#3 SoBeezy, le réseau de partage et d’entraide intergénérationnel

SoBeezy est accessible par la voix grâce à un assistant vocal intégré, afin d’être utilisable par tou·te·s et à tout âge. Porté par l’association Guztiak Bizi (« vivre ensemble » en langue basque), il est expérimenté par trois villes pilotes : Saint-Yrieix-la-Perche (Haute-Vienne), Pessac (Gironde) et Saint-Jean-de-Luz (Pyrénées-Atlantiques). Lancé en 2017, il a pour objectif, notamment, de favoriser le maintien de l’autonomie quotidienne des personnes en situation de handicap et des seniors.

#4 Les P’tits Cageots, la plateforme de commande de paniers bio et produits locaux

Les P’tits Cageots, est une petite entreprise de distribution « en circuit court », de paniers bio et fermiers de produits locaux, artisanaux et issus du commerce équitable : fruits et légumes, produits frais, secs, en conserves. Installés depuis plus de 10 ans à Talence, Aux P’tits Cageots, l’entreprise compose et livre, des paniers bio. Grâce à une sélection rigoureuse de producteurs et un système de distribution en circuit court ils proposent un vrai choix de produits locaux de qualité, à un « juste prix », un prix « équitable » qui permet au paysan et au producteur d’ici de vivre de son travail et au consommateur d’accéder à de bons produits sans se ruiner !
Leur démarche en circuit court contribue à générer véritablement des liens et une solidarité entre les agriculteurs et les consommateurs, rassemblés autour de valeurs communes, et de garantir une production agricole territoriale qualitative et quantitative, respectueuse de l’environnement.
En tant qu’entreprise de l’Economie Sociale et Solidaire, Les P’tits Cageots sont engagés dans une démarche responsable qui répond aux besoins de retrouver librement, toute l’année, des produits sains et savoureux, de gagner en temps et en confort, grâce à un système de commande personnalisable simple et rapide, et une livraison tout en souplesse, adaptée aux contraintes des clients et à celles de la vie moderne.

Et enfin 3 start-up de la Social tech qui améliorent la vie:

I Wheel Share, l’app collaborative d’accessibilité
I Wheel Share est une application qui donne la parole aux personnes handicapées. Créée par Audrey Sovignet en 2015, cette application mobile collaborative permet aux personnes en situation de handicap de témoigner de leurs expériences et de partager des bons plans.

Volpy, l’appli écolo pour recycler vos téléphones
Volpy propose aux particuliers de racheter et de recycler leurs anciens téléphones. La jeune start-up reverse deux euros pour chaque mobile reçu à l’entreprise solidaire Pur Projet, qui œuvre pour la reforestation dans le monde.

Refunite, l’appli qui aide les réfugiés à retrouver leurs proches
Refunite est une application venant en aide aux réfugiés. Elle propose retrouver leurs proches et a valu à ses créateurs le prix des entrepreneurs sociaux en 2017.

Vers un social washing?

Dans cet écosystème, on voit apparaître un autre phénomène face à l’entrepreneuriat social: le social washing. En effet, on constate que les GAFA et autres acteurs majeurs de la Silicon Valley s’empare du sujet de la Social tech. Bien que l’inclusion numérique dans le domaine de l’ESS ne soit pas réservé qu’aux start-up, l’impact que pourraient avoir ces géants dans le domaine de la social tech serait considérable.
On peut d’ailleurs citer Facebook qui a initié un partenariat avec Pôle Emploi pour former 50.000 demandeurs d’emploi aux technologies numériques. Egalement Google qui a créé plusieurs ateliers du numérique ouverts à tous.
Bien que l’implication des GAFA soit une bonne chose, le déploiement reste limité compte tenu des moyens financiers qu’ils ont à disposition. Ils ont leur rôle à jouer mais celui-ci reste restreint au regard des attentes dans le domaine de la social tech. Seule une prise de conscience globale de leurs utilisateurs pourrait les pousser à s’impliquer d’avantage.

Quoiqu’il en soit on assiste à une véritable expansion de l’écosystème social tech. La recherche de sens est de plus en plus présente chez les porteurs de projet. Ce développement s’explique principalement par le déploiement des systèmes d’accompagnements et de financement des start-up, qui étaient jusqu’alors moins puissants voire inexistants. Enfin, la réussite de certains acteurs de cet écosystème montre que la création d’un projet numérique à la portée sociale positive est possible. Reste à savoir si cette tendance va se confirmer après le confinement alors que la crise pourrait sérieusement menacer les systèmes d’accompagnement et les financements de ce type d’initiatives. Pourront-elles compter sur des financements privés à l’instar de l’hôpital Cochin avec le groupe Kering pour les imprimantes 3D ? Ou est-ce seulement conjoncturel ? L’avenir nous le dira…

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