Encore balbutiante en France il y a quelques années, la Tech for Good, expression désignant l’usage des technologies au service du bien commun, semble s’accélérer. Le terme Tech for Good est entré dans le langage courant du milieu entrepreneurial et couvre les projets numériques permettant de toucher un grand nombre de personne tout en facilitant le partage et l’accès aux informations. Mais qu’est-ce qui se cache derrière ?
#1 Tech for Good, un numérique social et solidaire tourné vers l’humain.
Depuis quelques années, la Tech for Good s’accélère, voyant fleurir nombre de projets numériques sociaux et solidaires. En effet, dans un environnement de plus en plus connecté, l’accès au numérique de manière inclusive, engagé et durable, devient un enjeu majeur. Au-delà, de cet accès qui relève du bien commun selon la loi Numérique, on constate que la transformation numérique ne doit pas se cantonner aux entreprises et à la consommation mais également résorber les inégalités.
Le rapprochement entre le digital et l’ESS (économie sociale et solidaire), montre que ces secteurs a priori antinomiques, ont su surmonter leurs différences pour servir le bien commun.
Le développement de la Tech for Good s’explique notamment par l’accélération de la transformation numérique au sein de l’ESS et ce à trois niveaux:
– l’ambition et la finalité
On constate que participer de l’intérêt général ou répondre à des besoins fondamentaux de la société notamment à travers le travail associatif, ne sont plus réservés uniquement à l’ESS. Cette dernière s’est élargie au concept d’entrepreunariat social, phénomène accentué par le numérique. En effet, de nombreuses start-up appartenant à « l’économie collaborative » ont été créees et ont fait naître des plateformes de service dont l’ambition est de servir l’intérêt général tout assumant leur statut à but lucratif.
– le financement
Le développement du crowdfunding grâce aux plateformes numériques ont ouvert la porte à une nouvelle source de financement, offrant une formidable alternative au système de financement du secteur non lucratif.
Bien que le crowdfunding n’ait pas pour objectif de remplacer les financements publics en vigueur, il permet néanmoins à de plus petits projets de voir le jour en dehors d’un processus de financement public parfois trop long et trop contraignant.
– la capacité d’innovation
Le numérique et par extension la Tech for Good, permet de déployer et de mettre à disposition de nouveaux outils qui peuvent toucher de nouveaux publics. Elle offre à l’ESS l’opportunité de se renouveler et de développer des projets auprès d’un plus large public et ce de manière plus rapide.
Cette dynamique dénote d’une prise de conscience collective : « l’impact sociétal positif » doit être placé ou replacé au cœur de la « tech » et de la transformation numérique. Elle peut également devenir un levier pour accomplir les Objectifs de Développement Durable (ODD). Il s’agit également de démontrer que rentabilité et impact sociétal ne sont pas incompatibles et peuvent se compléter vertueusement.
La dynamique de la Tech for Good s’appuie aussi sur celle qui voit l’Économie sociale et solidaire (ESS) rechercher dans l’innovation numérique des moyens de porter ses actions à grande échelle. Faute de réseau ou de financement, l’ESS est souvent contrainte à ne pas dépasser le stade de l’action locale. Avec les leviers technologiques (Cloud, IOT, IA…), l’ESS peut entrevoir de nouvelles opportunités.
#2 Tech for Good, au secours de la fracture numérique
Aujourd’hui, près de 12 millions sont « illectroniques (en incapacité d »utiliser le numérique dans leur vie courante) d’après l’Insee qui compte aussi 47% de personnes manquant d’au moins une compétence numérique de base (communiquer via une application, chercher une information, utiliser un traitement de texte ou résoudre un problème). Et il ne s’agit pas d’un problème de génération. Il y a des personnes âgées qui échangent avec leurs enfants sur Snapchat et des jeunes qui ne maîtrisent pas Word ou qui ne se sentent pas capables de trouver un emploi sur le net, alors que 80% du marché du travail est numérisé. Or, tous les services de l’État seront dématérialisés en 2022. Construire une société numérique accessible à tous est un énorme enjeu. Sans compter celui de la maîtrise de ses données ! Dans ce monde qui se veut de plus en plus algorithmique, il est nécessaire d’être à l’aise au niveau informatique pour être en mesure de maîtriser son identité numérique et donc ses données.
Le numérique peut être vu comme une opportunité pour résorber ces inégalités à condition que tout le monde s’y mette : État, collectivités, associations, entreprises et société civile. Les entreprises doivent de plus en plus penser à l’inclusion numérique et s’assurer que les personnes sont formées. Cartographier les compétences de ses salariés permet d’assurer leur employabilité et de les rendre autonomes en dehors de l’entreprise.
La prise de conscience collective évoquée plus haut doit également redescendre au niveau de chaque entreprise et de sa manière de gérer son activité, de concevoir ses produits numériques : mon site est-il accessible à tous ? Quel est son coût écologique et sa finalité. Pour passer à un « numérique vert », cette industrie doit servir des projets écologiques, par exemple des circuits courts ou du bio. Une hygiène numérique et en amont de chaque projet ou de chaque activité est possible à condition de se poser les bonnes questions. À quoi ça sert, ce que je fais ? Avons-nous besoin de créer un énième objet connecté ? Est-ce que je crée de la valeur collective avec ce produit ou ce service ?
#3 Tech for Good, mythe ou réalité ?
La France et l’Europe semblent s’être emparées du sujet, à l’instar de l’Appel Tech for Good signés par 75 leaders au début de l’année 2020. A travers ce manifeste, grands groupes, licornes, startups, fondations et ONG, de France comme de tous les continents, reconnaissent leur impact social, sociétal et environnemental. En quelques années le discours a beaucoup évolué et l’on peut voir un changement de paradigme sur ces questions. De plus en plus d’acteurs sentent qu’ils doivent se justifier sur leur contribution au bien commun.
Attention néanmoins au social washing. La Tech For Good est devenu le nouveau terme à la mode. Faut-il pour autant empêcher les entreprises de communiquer ? Rien n’est moins sûr. La Tech for Good peut être vue comme un curseur. Il ne tient qu’aux entreprises de voir jusqu’où elles sont capables d’aller. Les utilisateurs commencent à comprendre que le numérique a des conséquences négatives ou positives, c’est donc aux acteurs de la Tech for Good de mettre la pression, à l’image de la RSE. Un label peut-il être envisagée ? Cela pourrait donner de la visibilité. Mais parce que la Tech for Good est une notion très large et un mouvement de fond qui dépasse le numérique, il est important d’interpeller les acteurs qui ont le pouvoir de changer les choses, notamment les GAFAM.
Pour que la Tech for Good se généralise, peut-on envisager des partenariats entre l’ESS et le secteur privé ? Certains répondront que ces deux mondes s’opposent. Pourtant des synergies sont possibles ; l’ESS est là pour interroger sur la durabilité des modèles économiques et sociaux, et pour porter l’innovation au service de l’inclusion. Les entreprises du secteur privé doivent être aidées à penser l’intérêt général et ne pas être exclue de ce champ d’action. A ce titre le Groupe SOS, première ESS d’Europe, pense qu’il faut prendre le meilleur des deux mondes. Leur volonté est de servir une société inclusive où l’ensemble des acteurs sont engagés au service d’un avenir pour chacun. C’est pourquoi ils ont lancé un lieu French Tech à Lyon, H7, qui réunit l’ensemble de l’éco-système local de la Tech pour connecter les start-up à leur environnement, accélérer leur croissance et favoriser la création de valeur collective. Pour cette ESS, « l’intérêt général est l’affaire de tous, donc tout le monde doit s’en saisir et c’est toute la société qui doit se mobiliser. »
#4 Quelques projets Tech for Good inspirants
THE OCEAN CLEAN UP
L’ambition de The Ocean CleanUp ? Nettoyer l’intégralité du plastique qui pollue les océans grâce à un bateau bardé de nouvelles technologies. Ce projet vise à réduire de moitié la quantité de plastique dans l’océan pacifique d’ici 5 ans. Imaginé par l’ingénieur et entrepreneur néerlandais Boyan Slat en 2013, le bateau a finalement déployé son immense nacelle au large de San Francisco en octobre 2018. La mission du navire consiste pour le moment à récolter un maximum de données sur le « 7ème continent de plastique », cette immense étendue de déchets localisée dans le Pacifique. L’objectif à terme étant de capturer les déchets grâce à la nacelle connectée conçue tout spécialement pour le navire.
POWER LEDGER
La start-up australienne Power Ledger a de grandes ambitions : révolutionner le secteur de l’énergie en permettant aux particuliers qui produisent de l’énergie de la revendre à d’autres particuliers, sans passer par un fournisseur « classique » pour jouer le rôle d’intermédiaire. Comment ? En favorisant les échanges grâce à une cryptomonnaie basée sur la chaîne de blocs : le POWR. On parle alors de « smart grid ». Ce système est déjà en cours d’expérimentation dans une centaine d’immeubles équipés de panneaux solaires.
NOMADE DES MERS
Corentin de Chatelperron est un aventurier des temps modernes. À bord de son bateau, le Nomade des Mers, il a entrepris en 2016 un tour du monde de trois ans. Son ambition ? Découvrir et répertorier les « low techs », ces systèmes simples et accessibles qui offrent des solutions durables, sans technologie complexe. Les low techs permettent de répondre aux besoins de base comme l’accès à l’eau, à l’énergie ou à l’alimentation en favorisant l’autonomie. Elles sont également des solutions locales et responsables. Pour répertorier ces trouvailles, son équipe et lui ont également créé une plateforme collaborative en ligne, le Low Tech Lab. Un livre est paru en 2018 : Nomade des mers, le tour du monde des innovations « low tech ».
DIGITAL FOR THE PLANET
Le digital est l’un des secteurs qui émet le plus de carbone. Il se pourrait même que ce secteur pollue autant que l’aviation en 2019, nous alarme un récent rapport du WWF. Il est donc essentiel de repenser ses usages numériques pour les rendre plus responsables. C’est le challenge que souhaite relever la start-up Digital For The Planet, qui informe et acculture les entreprises au Green IT, le numérique écolo. Au programme, sensibilisation (une recherche sur google équivaut à des milliers de kilomètres de câbles à parcourir) et formation (sur la manière d’utiliser des moteurs de recherche alternatifs, ou d’éviter de stocker des données trop encombrantes). La start-up vient d’ailleurs de lancer Plana, le premier assistant vocal qui guide les usagers pour un usage responsable de leur téléphone. Côté entreprises l’alliance Green IT, dont fait partie CGI, réunit des entreprises soucieuses de réduire l’impact énergétique de leur activité numérique.
LOOP FRANCE
Des produits de grande consommation vendus dans des emballages en verre, qui seront par la suite récupérés et consignés. C’est le pari « zéro déchet » d’un supermarché en ligne d’un genre nouveau : Loop. Cette initiative est d’autant plus pertinente lorsque l’on sait qu’en France, 324,5 millions de tonnes de déchets sont produites chaque année (Ademe). En rétablissant le système de la consigne (déjà en vigueur dans d’autres pays européens comme l’Allemagne ou la Suède), Loop fait le pari d’inciter les ménages à limiter drastiquement leur production de déchets. Une initiative déjà soutenue par l’enseigne Carrefour, ainsi que par de grandes marques (Coca-Cola, Evian, Ariel…).
LA HANDITECH
Mettre l’innovation technologique au service des personnes en situation de handicap, ou en perte d’autonomie… Telle est l’ambition de l’association La Handitech. Fondée par la plateforme d’insertion professionnelle JobinLive en association avec CGI, l’association permettra d’accélérer les projets à fort impact qui misent sur l’inclusion en entreprise. « Au-delà de l’aspect humain, je suis convaincu qu’une politique de diversité et d’inclusion constitue un facteur de performance pour l’entreprise », explique Laurent Gerin, Vice-président Senior Grand-Sud, Italie et Espagne de CGI. Une déclaration qui résonne avec l’ambition affichée par le gouvernement qui a fait de la politique d’inclusion professionnelle l’un des axes majeurs du quinquennat.